FRAGITRAV : Travail et fragilisations :visibilité, invisibilité et régulations dans quelques grandes entreprises françaises
En France, plus d’un million de salariés par an se voient notifier des avis médicaux comportant des restrictions d’aptitude ou des aménagements de poste, et plusieurs milliers sont déclarés inaptes. Le contexte social et démographique renforce l’importance de cette question du maintien en emploi à tous les âges de la vie professionnelle, tandis que les entreprises font face à un environnement économique tendu par des ajustements permanents de leurs outils de production. Ces changements fréquents, organisationnels et technologiques, rendent difficile une gestion sur le long cours des déficiences de santé, et conduisent souvent à des processus d’intensification du travail, particulièrement préjudiciables aux salariés souffrant de déficiences. Nous désignons par le terme « fragilisation » l’ensemble des processus d’apparition de ces difficultés, dépendantes du contexte de travail, qu’elles soient ou non prises en charge par des dispositifs dédiés.
Ce projet porte un double registre de préoccupations, scientifiques et pratiques. Il s’ancre dans des préoccupations pratiques car il s’appuie sur une collaboration avec cinq grandes entreprises des secteurs de l’industrie, des services et du transport, soucieuses de mieux prendre en compte les caractéristiques des salariés dans leurs politiques de changements du travail et de limiter les dégradations de la santé. Membres du GIS CREAPT, comme le sont aussi les partenaires scientifiques du projet, elles auront un rôle collaboratif important dans la mise en œuvre du projet et ses retombées concrètes, son orientation et sa dynamique.
D’un point de vue scientifique, les termes de « déficience », « inaptitude », « employabilité », « restriction », semblent supposer une visibilité ou une identification des difficultés des salariés, et désigner principalement des préoccupations d’acteurs de la santé ou des ressources humaines. C’est une approche plus complexe que propose ce projet. Il s’intéresse d’une part aux processus de mise en visibilité / invisibilité de ces difficultés, et à l’ensemble des acteurs, plus ou moins « visibles », ayant à faire avec cette fragilisation des salariés - notamment les encadrants, qui doivent gérer au quotidien ces salariés fragilisés tout en tenant des objectifs de performance et de qualité. Il intègre d’autre part l’idée que les salariés eux-mêmes ne sont pas passifs dans ces processus de fragilisation : ils élaborent dans l’activité de travail, individuellement et collectivement, au fil des parcours, des stratégies qui intègrent leurs difficultés. Dans cette perspective, l’analyse des relations santé/travail ne peut se limiter à considérer le travail comme un facteur de dégradation : il est aussi potentiellement ressource pour la santé. Cette conception ouvre de nouveaux registres d’action relatifs à la conception du travail et à la prévention de la santé, là où les dispositifs dédiés de gestion des déficiences se concentrent essentiellement sur la prise en charge des problèmes survenus.
La fragilisation sera analysée dans ses liens avec le travail selon trois perspectives : la fragilisation « par », « par rapport » et « dans » le travail. Et ce à plusieurs niveaux de régulation : au niveau organisationnel, au niveau des collectifs de travail et au niveau de trajectoires individuelles. Ce projet a pour ambition de combiner l’analyse des régulations sociales en jeu et des régulations individuelles et collectives dans l’activité de travail, avec une approche pluridisciplinaire articulant ergonomie, sociologie et démographie du travail et combinant analyses quantitatives et qualitatives. Considérer la fragilisation comme un processus implique aussi de développer des outils d’analyse diachronique et synchronique. L’analyse de l’activité, focalisée sur l’ici et le maintenant, sera enrichie d’analyses sur les parcours, tandis que les processus de régulation sociale seront envisagés dans une perspective historique.
Le projet a débuté en septembre 2014 pour une durée de 48 mois.